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Essaie sur l’imagination symbolique de Durand à travers l’aura de Los Angeles,

métropole de l’imaginaire.

 

 

 

 

 

 

Constat personnel :

- « En Février 2009, j’ai eu la chance de partir quelques temps dans la métropole de Los Angeles. Remplis de surprises et de désillusions, j’ai par moment ressenti une légère déconvenue. Un sentiment de « déjà vu » m’avait envahi. On se projette quotidiennement dans l’imaginaire de cette cité. Par le biais des images et des sons, par les marques et les symboles, par les écrans ou les enseignes, par la culture ou l’acculture. Dès lors, sur ce territoire on bascule derrière l’écran, au travers d’un imaginaire qui fabule sur la réalité ».

 

 

 

 

Introduction

 

 

               Los Angeles entretient une relation étroite avec notre imaginaire collectif. C’est une ville territoire qui historiquement, cherche à conquérir tous les espaces et notamment ceux de la représentation. Cette métropole présente une certaine ambivalence entre ses méthodes ou « process » de l’imagination ; et la manière dont elle nie toute réalité objective. Tous les récits et images référents à la ville illustrent le symbole et l’antithèse de l’ « American Dream ».

                Ce territoire à l’épreuve du rêve est-il un cas d’urbanité factice ? Pourquoi cette capitale monde apparaît comme schizophrène dans tous les espaces qu’elle exploite ? Los Angeles est une mégapole sud californienne à double vitesse, à double tranchant. On y trouve une culture superficielle voilée par des acropoles d’un nouveau genre. Finalement, comment la Dans un premier temps, nous étudierons le symbole que représente cette métropole dans le temps et l’espace. Par la suite, nous la regarderons comme capitale de l’imaginaire à travers les multiples formes et manifestations de récits ou d’images. Pour terminer, nous constaterons que Los Angeles représente une métropole bipolaire, à l’épreuve de sa réalité. Nous prendrons soin de mettre en relation l’essai de Gilbert Durand qui s’intitule « L’imagination symbolique » (édition PUF, 1964) afin de mettre en perspective ces observations avec le travail de l’auteur. Enfin, ce travail sera illustré par une série de photographies personnelles qui tenteront de mettre en relation cette étude avec mon regard sur la ville.

 

 

 

 

I – La symbolique d’une métropole dans le temps et l’espace

 

 

Conquête de l’ouest », la chevauchée des iconoclastes

 

 

                Au cours de mon séjour, j’ai pu visiter le Getty Museum de Richard Meier. Je n’avais pas mesuré jusque là, la pauvreté de cette culture et son histoire. Seule 20% des collections étaient dédiées aux photographies (à partir du XIXème siècle). Le reste des collections présentait des œuvres majeures de l’histoire Européennes (XVIème - XXème siècle). Pour mesurer la parfaite dimension iconoclaste de l’américain colonial, il faut saisir cette culture de la négation, sans compromis. Une culture qui, pendant des siècles, s’est éloignée des symboles et des icônes des peuples indigènes.

La conquête de l’Ouest est un récit difficile à écarter pour comprendre et aborder l’histoire de la côte ouest des Etats-Unis. Il semble que la légende et la réalité des scénarios se soient entremêlées. Cette culture tend à transmettre un regard épique de cette courte histoire. En 1893, un jeune historien de l’université du Wisconsin (F.J Tumer) évoquait l’idée que l’histoire officielle du continent devait être mesurée par la progression continue vers un front pionnier, l’ouest. Ce front appelé « the frontier » aurait semble t’il forgé le caractère des colons. L’Ouest représente des terres de promesses, des terres riches par leur beauté et leur immensité. C’est un territoire aux limites imprécises, constamment repoussées et modifiées à travers les siècles. L’ennui c’est que ces terres prétendument libres sont en réalité occupées par les peuples indigènes farouchement opposés à cette colonisation. La pression des colons est si forte qu’elle finit par éradiquer la quasi totalité des tribus (Sioux, Appaches, Cherokee, Choktaws, Nez Percés etc.). On peut mentionner les tristes récits du sociologue Alexis de Tocqueville qui détails un peu plus cette grande tragédie.

                En définitif, l’esprit pionnier a manifestement réduit les cultures indigènes à leur plus simple expression symbolique. Et ce pour augmenter les récits, et engendrer toujours plus de capital. Les icônes d’une culture ont semble t’il laissé place aux signes de l’acculture. Nous pouvons facilement faire un parallèle avec le travail de G. Durand, quand dans le second chapitre de son ouvrage, il évoque la victoire des iconoclastes à travers l’histoire occidentale (notamment au XXème siècle). Selon l’auteur, l’iconoclasme mènerait à une forme de positivisme du symbole. Selon lui, c’est un phénomène réducteur pour le signe ainsi que pour son sens dans la société. Pour ainsi dire puisque ces icônes et leurs récits participent à l’équilibre de l’individu dans le groupe, on pourrait y voir l’avènement d’un certain déséquilibre du groupe en question ?

 

 

 

 

 

 

 

 

La symbolique du Capitalisme et l’espace du signe

 

 

                 Malgré cette passe iconoclaste, la cité de Los Angeles représente un étrange paradoxe. Lorsque l’on sillonne les avenues et les rues de cette ville, on remarque une prolifération des symboles liés au capitalisme. À Los Angeles, on trouve une enseigne de fast-food en réalisant un trajet de moins de 5min en voiture. L’enseignement de Las Vegas effectué par Robert Venturi et Denise Scott Brown nous aidera à comprendre la symbolique du capitalisme par l’espace et par la forme des signes. Nous serons ainsi en mesure d’en saisir leurs sens. Cette architecture communique, c’est à dire qu’elle prévaut sur l’espace. Elle domine le paysage urbain. L’importance des enseignes correspond donc à la dimension du signe. L’usager saisi rapidement le signe dans tous son sens. En théorie, si l’on soustrait la ville de ses signes, elle n’existe plus (c.f : « decorated shed » ; « Big Duck »). Le lieu ne serait plus. Les grands Mall de la périphérie urbaine de Los Angeles constituent une typologie récurrente dans le paysage urbain. C’est ce que les Venturi nomment « les Hangars décorés ». Les systèmes architecturaux sont au service du programme tandis que l’ornementation et le symbole sont au service du signe. En règle générale, cette architecture évoque le contenu du bâtiment ; elle devient représentative et évoque un programme connu et lisible pour tout à chacun. On cherche à faire rêver le spectateur afin de développer son imaginaire et finalement jouer avec ses pulsions. La fonction devient secondaire, par rapport au caractère communiquant de ces dispositifs mémoriels. Ce système consiste à saisir le symbole dans sa forme la plus réductive.

                 Il serait intéressant d’introduire la question du « positivisme » évoquée par G.Durand (*Chapitre II) pour comprendre ce phénomène. Lorsque l’on parle de l’héritage positiviste (britannique pour les Etats-Unis), on entend un ensemble de courant de pensées du XIXème siècle. Cet héritage considère que seule l’analyse et la connaissance de faits vérifiés peuvent expliquer les phénomènes du monde. Ce rejet complet de l’introspection et de l’intuition laissera libre court à un nouveau genre : «l’empirisme logique». Celui ci dominera la pensée occidentale au travers de l’éclosion du Capitalisme d’hier et d’aujourd’hui. Pour que le symbole soit compréhensible et porteur de vérité, deux paramètres sont à prendre en compte.

                     Tout d’abord, il faut l’existence du « non sensible », puisque la réalité se réduit a ce que l’on touche, ce que l’on voit ou ce que l’on mesure. On produit certains objets qui donne une représentation directe de ce monde (ex : panneaux de circulation qui signal un virage). Dans cet exemple, il y a une production de signe et non de symbole. Le domaine spirituel est inconsistant c’est à dire qu’il n’a rien a représenter. La dimension symbolique qui prévaut à Los Angeles est essentiellement d’ordre « positiviste ». Elle s’inscrit à travers des objets de faits qui manifestent des idées concrètes.

 

 

 

La « cité des anges », trouve un référent spirituel par l’archétype occidental

 

 

                  Mesurons notre propos car Los Angeles garde en elle une grande part de symbolique spirituelle. Après avoir appréhendé la question du positivisme il est nécessaire maintenant comprendre la dimension du « spiritualisme ». Pour clarifier ce terme : il faut que le domaine du sensible soit en mesure de « représenter » une part de spirituel, pour que ces deux domaines ne soient pas incompatibles. On trouve divers courants religieux et philosophiques nourris par le désir d’un monde d’idées immatérielles, de sentiments purs car ils sont délivrés de l’ordre du sensible. Ils pointent du doigt le symbole qui masque, défigure et déforme le caractère spirituel en voulant le représenter de façon contraire ou étrangère. Les symboles qui arborent les rues et avenues de Los Angeles possèdent une part de « spiritualisme ». Ce caractère sensible du symbole ne représente jamais le spirituel de manière exacte. Cette représentation imparfaite du spirituel par le sensible peut être imparfaite mais elle lui confère une réalité et une existence, une forme et un visage sans lesquel le symbole serait éphémère et diffus.

                     La métropole conserve dans son architecture une grande part de spirituel. On y dénombre beaucoup d’espaces qui réfèrent à des temps ou des lieux communs acceptés par tous (L.A Central Library – style antique / Union Station – style baroque / Hôtel de ville – style orientale / Bradbury Building – style renaissance / Métropolitan transit autority – style art déco). C’est le propre de l’Architecture symbolique. Souvent l’usager est interpellé par des clichés ou des images de la ville européenne. On assiste même parfois à de véritables pastiches architecturales néo-classiques. Le Down Town, présente certains gratte-ciel comme des monuments. Des monuments qui évoquent la ville historique, dans une certaine disproportion. Ces archétypes ne sont pas sans intérêt dans notre étude. Ils prédisposent le gratte-ciel à devenir « icône ». Ces icônes sont à même de dépasser le territoire local dans certains cas. La ville communique ainsi.

                  La ville de Los Angeles est sur tous les points, un cas intéressant. Amnésique, elle refuse de voire une part de son histoire. Cette histoire est réductive, dans le sens où elle transforme tous les récits en une signalétique positiviste. L’avènement de l’idéologie capitaliste porte en elle une symbolique qui s’exprime également dans l’architecture. Le symbole est alors émancipé de tout degré spirituel. Pour autant Los

 

 

 

 

               Angeles garde en elle une vraie identité de l’ordre du sensible. Celle-ci existe à travers des archétypes qui réfèrent à l’Europe occidentale. À travers cette première partie nous avons pu illustrer les chapitres 1 & 2 de l’imagination symbolique qui évoque: « la victoire des iconoclastes et l’envers de positivistes ».

                Désormais, nous allons constater que Los Angeles se déréalise. C’est une métropole qui ce délite sur de nombreux plans. Afin de lutter contre cette déliquescence, la ville est entrée dans un univers de simulation. Elle idéalise et cherche très souvent à brouiller sa propre réalité. Cet imaginaire s’exprime à travers de multiples formes et manifestations des récits de l’imaginaire.

 

 

 

 

 

II – Capitale de l’imaginaire : Formes et manifestations des récits de l’imagination

 

 

 

Hollywood « l’imaginarium », Hollywood l’usine du rêve

 

 

               Ville dans la ville, croisée entre le délire créatif qui peut tout et a un certain nombre d’obligations concrètes. Ce duel permanent accorde et fait naître le cinéma. Hollywood, 2ème pôle de production cinématographique après « Bollywood », est un univers factice et surprenant qui oscille entre rêve et réalité. Hollywood c’est un décor de cinéma, un carton derrière lequel se reflète une réalité profonde, le rêve. Cette ville existe bel et bien. Elle évoque un imaginaire d’eldorado et de déliquescence. Déliquescence d'une culture qui doit évoluer au fil du temps et de ces corps meurtris par les cascades et les effets spéciaux. Hollywood c'est la culture de l'image poussée à son extrême : un ailleurs virtuel qui doit vivre avec certaines réalités économiques. Elle porte en elle une fascination dans l’exercice imposé du mensonge. On entend par « Entertainment » la manière d’inscrire le film dans une relation étroite avec le spectateur. On le détourne de son quotidien, de ses problèmes. On le transporte pour le faire rêver : les films de science-fiction, les westerns ou encore les films d’aventure et les comédies musicales. Ils sont tournés dans de gigantesques décors naturels ou artificiels, de nouveaux espaces à perte de vue « waterwold » « 2001 space odyssée ». Il s’agit de présenter au spectateur un univers qui n’en finit plus, un espace à travers lequel il se déplace en toute tranquillité. Hégémonie et temple de l’imaginaire, Hollywood produit en masse des images et des récits qui forgent l’américain lambda et l’identité de la ville de Los Angeles.

 

 

 

b) Le scénario de la ville entropique et l’idéologie du désastre

 

 

                Hollywood est également un moyen d’inscrire des valeurs politiques au sein de la culture américaine. Après la guerre du Vietnam et la crise du Watergate, le cinéma deviendra un moyen d’illustrer les incertitudes qui pèsent. Un nouveau genre de cinéma se mettra en place : le film catastrophe. En dépit des désastres, ce genre obtint un très grand succès populaire car il suscite des peurs ancrées dans l’irrationnel. Les spectateurs sont renvoyés à des peurs primitives : les éléments, les prédateurs, les changements climatiques ou les épidémies. La catastrophe est esthétisée à travers des schémas de lecture impossibles à trouver dans la réalité. C’est une forme d’idéologie du désastre. Dans une réalité où il n’y aurait que des morts ici nous trouvons un seul héros. Nous pouvons à l’évidence faire un parallèle avec l’ouvrage de Naomie Klein « La stratégie du choc » paru chez LÉMÉAC / ACT SUD. Elle part du constat que l ‘économie libérale se nourrie des catastrophes et des conflits pour développer un « capitalisme du désastre ».

                   Finalement la plupart des films illustre ce sentiment de désintégration et de rupture. Les films catastrophes procèdent à une forme d’amnésie historique, qui font croire au spectateur que les réels menaces des USA ne sont ni la pauvreté, ni les scandales politiques ou financiers, ni le statut des minorités mais encore et toujours la mère nature. On peut noter une forme d’arrogance de l’homme à se mesurer au divin. Les films catastrophe expliquent que la société américaine devient trop permissive. Seules les valeurs traditionnels restent intactes et garantissent la survie de l’individu et du groupe. Nous pouvons y relever une double lecture. En effet, tout d’abord, cela permet de réaffirmer la puissance des USA et sa nature « hors du commun » puisque son seul rival est Dieu. Dans un second temps, ces films affirment le chao, imprévisible et incontrôlé. C’est donc ce qui constitue une seule menace suprême pour une société qui cherche à se stabiliser.

 

 

 

 

 

Mise en perspective des notions d’herméneutiques évoquées par G.Durand

 

 

                    Dans son ouvrage, Gilbert Durand définie l’herméneutique comme la capacité à interpréter et à donner un sens à un récit ; sans pour autant prétendre que c’est le seul plausible. Il différencie « l’herméneutique instaurative » de « l’herméneutique réductive ». La première s’enrichie de l’imaginaire pour générer des modélisations originales et innovantes du quotidien ; tandis que la seconde cherche à accéder au sens exact d’un récit. Pour illustrer l’herméneutique amplificatrice, il faut comprendre les mécanismes médiatiques qui portent les récits de la réalité, dans une sorte de sur conscients vécus. L’instrumentalisation de l’information en est un bon exemple. À Los Angeles la plupart des faits sont théâtralisés (courses poursuites, crimes, accidents, violences etc.). La réalité devient un spectacle qui cherche à engendrer une audience maximale.

                 L’herméneutique possède une valeur pratique qui emploie des méthodes et des outils afin de découvrir la signification d’un récit. Elle cherche à définir son origine, sa formation et son évolution. L’herméneutique désigne une pratique menée par une forme d’art. Il s’agit de l’annonce, de l’explication et de l’interprétation et il renferme l’art de comprendre. L’herméneutique est un archipel d’interprétations ; elle induit de nombreuses lectures, approches et appréciations, objectives pour les uns, subjectives pour les autres. Elle se sert d’instruments logiques ou de raisonnements intuitifs afin de transposer les choses réelles en symboles. Elle a pour vocation de déchiffrer ces symboles et de saisir le lien qu’ils entretiennent avec le monde du phénomène et/ou du spirituel. D’où l’étroite relation entre l’herméneutique en tant que méthode d’interprétation des signes et le symbolisme qui porte sur ce que ces signes veulent dire. Remarquons, avec G. Durand, qu’allégorie et symbole sont généralement confondus bien qu’ils ne soient pas complètement opposés. La première a un rapport avec le discours par la transposition des images en idées. C’est pour cette raison qu’elle est fondée sur la métaphore. La seconde, elle, entretient une relation étroite avec l’impression qui laisse le sujet en saisir la signification.

 

 

 

 

 

                   En définitive il semble que la métropole de Los Angeles peut être diagnostiquée comme étant bipolaire. Bipolaire parce qu’elle est à l’épreuve de sa propre réalité. Elle interroge un imaginaire débordant afin d’augmenter la réalité du quotidien. Elle se projette dans une mise en scène et un spectacle permanent pour faire de ses dérives (stigmatisation des populations, programme de surveillance du voisinage, ghettoïsation, banlieue vétustes ou dorées, contrôle social) un sujet de fiction. Pendant que la ville se délite, elle se déréalise également. Malgré cela Los Angeles est une ville qui arrive à dépasser le présent et la fiction. En effet l’aire de la « silicon valley » par exemple questionne le futur et nos attentes (nano-technologies, robotique, réseaux sociaux, bulle internet, innovations). Ces attentes stimulent le paysage symbolique et la production de récits de l’imaginaire.

                     Il semble que la ville diffuse une somme de symboles abstraits et concrets, qui évoquent de nombreux sens. Elle les diffuse dans un monde concret qu’elle a du mal à mesurer et qu’elle ne comprend pas. Cette métropole vit dans un imaginaire symbolique qui fait face à toutes les épreuves. Cet imaginaire lui est propre de part son histoire précoce et ses enjeux politiques, ethniques et territoriaux. Elle ne fait que vivre dans une masse de récits amplifiés (par l’industrie des médias et donc des images). Pour comprendre le travail de Gilbert Durand dans cette étude, nous pouvons finalement dire que cette ville se résume à un régime diurne et nocturne entre « le rêve américain » et « l’idéologie du désastre ». Cette ambivalence est intéressante à saisir par rapport aux travaux de l’auteur.

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